Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/100

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

du bien au peuple, à ces manants-là, aidez-les, secourez-les ! »

Ma mère, éperdue, répétait coup sur coup : « Allons-nous-en, allons-nous-en ! »

Alors, comme la porte était fermée, il cria : « Si vous ne m’ouvrez pas tout de suite, je vous fais flanquer en prison pour chantage et violence ! »

J’étais resté maître de moi ; j’ouvris la porte et je les vis s’enfoncer dans l’ombre.

Alors il me sembla tout à coup que je venais d’être fait orphelin, d’être abandonné, poussé au ruisseau. Une tristesse épouvantable, mêlée de colère, de haine, de dégoût, m’envahit ; j’avais comme un soulèvement de tout mon être, un soulèvement de la justice, de la droiture, de l’honneur, de l’affection rejetée. Je me mis à courir pour les rejoindre le long de la Seine qu’il leur fallait suivre pour gagner la gare de Chatou.

— Je les rattrapai bientôt. La nuit était venue toute noire. J’allais à pas de loup sur l’herbe, de sorte qu’ils ne m’entendirent pas. Ma mère pleurait toujours. Mon père disait : « C’est votre faute. Pourquoi avez-vous tenu à le voir ? C’était une folie dans notre position. On aurait pu lui faire du bien de loin, sans se montrer. Puisque nous ne pouvons le reconnaître, à quoi servaient ces visites dangereuses ? »

Alors, je m’élançai devant eux, suppliant. Je balbutiai : « Vous voyez bien que vous êtes mes parents. Vous m’avez déjà rejeté une fois, me repousserez-vous encore ? »

Alors, mon président, il leva la main sur moi, je vous le jure sur l’honneur, sur la loi, sur la République. Il me