Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

blaient pourtant m’attirer, m’appeler sans cesse, et m’aimer.

Peu à peu je me laissai séduire par le charme doux de cette vie commune ; et je dînais souvent chez eux ; et souvent, rentré chez moi la nuit, je songeais à faire comme lui, à prendre une femme, trouvant bien triste à présent ma maison vide.

Eux, paraissaient se chérir, ne se quittaient point. Or, un soir, Julien m’écrivit de venir dîner. J’y allai. « Mon bon, dit-il, il va falloir que je m’absente, en sortant de table, pour une affaire. Je ne serai pas de retour avant onze heures ; mais à onze heures précises, je rentrerai. J’ai compté sur toi pour tenir compagnie à Berthe. »

La jeune femme sourit : « C’est moi, d’ailleurs, qui ai eu l’idée de vous envoyer chercher », reprit-elle.

Je lui serrai la main : « Vous êtes gentille comme tout. » Et je sentis sur mes doigts une amicale et longue pression. Je n’y pris pas garde. On se mit à table ; et, dès huit heures, Julien nous quittait.

Aussitôt qu’il fut parti, une sorte de gêne singulière naquit brusquement entre sa femme et moi. Nous ne nous étions encore jamais trouvés seuls, et, malgré notre intimité grandissant chaque jour, le tête-à-tête nous plaçait dans une situation nouvelle. Je parlai d’abord de choses vagues, de ces choses insignifiantes dont on emplit les silences embarrassants. Elle ne répondit rien et restait en face de moi, de l’autre côté de la cheminée, la tête baissée, le regard indécis, un pied tendu vers la flamme, comme perdue en une difficile méditation. Quand je fus à sec d’idées banales, je me tus. C’est étonnant comme il