Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/74

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remettre au travail et de dire « yes » ou « nô », que je serais demeuré un temps indéfini à l’écouter et à la regarder.

« Tout à coup, elle murmura :

« — J’entendai une petite mouvement sur cette bateau.

« Je prêtai l’oreille ; et je distinguai aussitôt un léger bruit, singulier, continu. Qu’était-ce ? Je me levai pour aller regarder par la fente, et je poussai un cri violent. La mer nous avait rejoints : elle allait nous entourer !

« Nous fûmes aussitôt sur le pont. Il était trop tard. L’eau nous cernait, et elle courait vers la côte avec une prodigieuse vitesse. Non, cela ne courait pas, cela glissait, rampait, s’allongeait comme une tache démesurée. À peine quelques centimètres d’eau couvraient le sable ; mais on ne voyait plus déjà la ligne fuyante de l’imperceptible flot.

« L’Anglais voulut s’élancer ; je le retins ; la fuite était impossible, à cause des mares profondes que nous avions dû contourner en venant, et où nous tomberions au retour.

« Ce fut, dans nos cœurs, une minute d’horrible angoisse. Puis, la petite Anglaise se mit à sourire et murmura :

« — Ce été nous les naufragés !

« Je voulus rire ; mais la peur m’étreignait, une peur lâche, affreuse, basse et sournoise comme ce flot. Tous les dangers que nous courions m’apparurent en même temps. J’avais envie de crier : « Au secours ! » Vers qui ?

« Les deux petites Anglaises s’étaient blotties contre