Page:Maupassant - Contes de la bécasse, OC, Conard, 1908.djvu/125

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On prit pour arbitre le docteur, vieux médecin parisien retiré aux champs, et on le pria de donner son avis.

Justement il n’en avait pas :

— Comme l’a dit le marquis, c’est une affaire de tempérament ; quant à moi, j’ai eu connaissance d’une passion qui dura cinquante-cinq ans, sans un jour de répit, et qui ne se termina que par la mort.

La marquise battit des mains.

— Est-ce beau cela ! Et quel rêve d’être aimé ainsi ! Quel bonheur de vivre cinquante-cinq ans tout enveloppé de cette affection acharnée et pénétrante ! Comme il a dû être heureux, et bénir la vie, celui qu’on adora de la sorte !

Le médecin sourit :

— En effet, madame, vous ne vous trompez pas sur ce point, que l’être aimé fut un homme. Vous le connaissez, c’est M. Chouquet, le pharmacien du bourg. Quant à elle, la femme, vous l’avez connue aussi, c’est la vieille rempailleuse de chaises qui venait tous les ans au château. Mais je vais me faire mieux comprendre.

L’enthousiasme des femmes était tombé ; et leur visage dégoûté disait : « Pouah ! »