Page:Maupassant - Contes du jour et de la nuit, OC, Conard, 1909.djvu/307

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elle me conta son histoire comme pour n’être plus seule à porter son chagrin.

– Oh !… Oh !… monsieur… Si vous saviez… dans quelle détresse je vis… dans quelle détresse…

J’étais heureuse… J’ai une maison là-bas… chez moi. Je n’y veux plus retourner, je n’y retournerai plus, c’est trop dur.

J’ai un fils… C’est lui ! c’est lui ! Les enfants ne savent pas… On a si peu de temps à vivre ! Si je le voyais maintenant, je ne le reconnaîtrais peut-être plus ! Comme je l’aimais ! Même avant qu’il fût né, quand je le sentais remuer dans mon corps. Et puis après. Comme je l’ai embrassé, caressé, chéri ! Si vous saviez combien j’ai passé de nuits à le regarder dormir, et de nuits à penser à lui. J’en étais folle. Il avait huit ans quand son père le mit en pension. C’était fini. Il ne fut plus à moi. Oh ! mon Dieu ! Il venait tous les dimanches, voilà tout.

Puis il alla au collège, à Paris. Il ne venait plus que quatre fois l’an ; et chaque fois je m’étonnais des changements de sa personne, de le retrouver plus grand sans l’avoir vu grandir. On m’a volé son enfance, sa confiance, sa tendresse qui ne se serait plus détachée de moi, toute ma joie de le sentir croître, devenir un petit homme.