Page:Maupassant - La Vie errante.djvu/127

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la palpable réalité de la chair admirable, de la chair élastique et blanche, ronde et ferme et délicieuse sous l’étreinte.

Elle est divine, non pas parce qu’elle exprime une pensée, mais seulement parce qu’elle est belle.

Et on songe, en l’admirant, au bélier de bronze de Syracuse, le plus beau morceau du Musée de Palerme, qui, lui aussi, semble contenir toute l’animalité du monde. La bête puissante est couchée, le corps sur ses pattes et la tête tournée à gauche. Et cette tête d’animal semble une tête de dieu, de dieu bestial, impur et superbe. Le front est large et frisé, les yeux écartés, le nez en bosse, long, fort et ras, d’une prodigieuse expression brutale. Les cornes, rejetées en arrière, tombent, s’enroulent et se recourbent, écartant leurs pointes aiguës sous les oreilles minces qui ressemblent elles-mêmes à deux cornes. Et le regard de la bête vous pénètre, stupide, inquiétant et dur. On sent le fauve en approchant de ce bronze.

Quels sont donc les deux artistes merveilleux qui ont ainsi formulé sous deux aspects si différents, la simple beauté de la créature ?

Voilà les deux seules statues qui m’aient laissé,