Page:Maupassant - La Vie errante.djvu/163

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Puis en voici un vieux qui rit et nous crie, en dansant comme un ours :

— Fous, fous, nous sommes tous fous, moi, toi, le médecin, le gardien, le bey, tous, tous fous !

C’est en arabe qu’il hurla cela : mais on comprend, tant sa mimique est effroyable, tant l’affirmation de son doigt tendu vers nous est irrésistible. Il nous désigne l’un après l’autre, et rit, car il est sûr que nous sommes fous, lui, ce fou, et il répète :

— Oui, oui, toi, toi, toi, tu es fou

Et on croit sentir pénétrer en son âme un souffle de déraison, une émanation contagieuse et terrifiante de ce dément malfaisant.

Et on s’en va, et on lève les yeux vers le grand carré bleu du ciel qui plane sur ce trou de damnés. Alors, apparaît, souriant toujours, calme et beau comme un roi mage, le seigneur de tous ces fous, l’Arabe à longue barbe, penché sur la galerie, et qui laisse briller au soleil les mille objets de cuivre, de fer et de bronze, clefs, anneaux et pointes, dont il pare avec orgueil sa royauté imaginaire.

Depuis quinze ans, il est ici, ce sage, errant à pas lents, d’une allure majestueuse et calme, si