Page:Maupassant - La Vie errante.djvu/181

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général les premières pluies pour risquer leurs derniers grains ou pour emprunter au gouvernement la semence qu’il leur prête assez facilement.

Or, dès que les lourdes ondées d’automne ont détrempé la contrée, ils vont trouver tantôt le caïd qui détient le territoire fertile, tantôt le nouveau propriétaire européen qui loue souvent plus cher, mais ne les vole pas, et leur rend dans leurs contestations une justice plus stricte, qui n’est point vénale, et ils désignent les terres choisies par eux, en marquent les limites, les prennent à bail pour une seule saison, puis se mettent à les cultiver.

Alors on voit un étonnant spectacle. Chaque fois que, quittant les régions pierreuses et arides, on arrive aux parties fécondes, apparaissent au loin les invraisemblables silhouettes des chameaux laboureurs attelés aux charrues. La haute bête fantastique traîne, de son pas lent, le maigre instrument de bois que pousse l’Arabe, vêtu d’une sorte de chemise. Bientôt ces groupes surprenants se multiplient, car on approche d’un centre recherché. Ils vont, viennent, se croisent par toute la plaine, y promenant l’inexprimable profil de l’animal, de l’instrument et de l’homme, qui semblent soudés ensemble, ne faire qu’un