Page:Maupassant - La Vie errante.djvu/43

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de la mer et le vert de la montagne. La brise du sud-est nous force à louvoyer. Elle est faible, mais à souffles brusques qui inclinent le yacht, le lancent tout à coup en avant, ainsi qu’un cheval s’emporte, avec deux bourrelets d’écume qui bouillonnent à la proue comme une bave de bête marine. Puis le vent cesse et le bateau se calme, reprend sa petite route tranquille qui, suivant les bordées, tantôt l’éloigne, tantôt le rapproche de la côte italienne. Vers deux heures, le patron qui consultait l’horizon avec les jumelles, pour reconnaître à la voilure portée et aux amures prises par les bâtiments en vue, la force et la direction des courants d’air, en ces parages où chaque golfe donne un vent tempétueux ou léger, où les changements de temps sont rapides comme une attaque de nerfs de femme, me dit brusquement :

« Monsieur, faut amener la flèche ; les deux bricks-goélettes qui sont devant nous viennent de serrer leurs voiles hautes. Ça souffle là-bas. »

L’ordre fut donné ; et la longue toile gonflée descendit du sommet du mât, glissa, pendante et flasque, palpitante encore comme un oiseau qu’on tue, le long de la misaine qui commençait à pressentir la rafale annoncée et proche.