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en famille

car tous les galopins du pays, jusqu’aux petits mendiants en loques, accouraient à ce plaisir nouveau ; et elle recommençait chaque fois les simagrées maternelles avec une perfection absolue.

À la longue, elle se fatigua. Un autre jeu entraîna les enfants au loin ; et la vieille grand mère demeura seule, oubliée tout à fait, par tout le monde.

L’ombre emplit la chambre, et sur sa figure sèche et ridée la flamme remuante des lumières faisait danser des clartés.

Vers huit heures Caravan monta, ferma la fenêtre et renouvela les bougies. Il entrait maintenant d’une façon tranquille, accoutumé déjà à considérer le cadavre comme s’il était là depuis des mois. Il constata même qu’aucune décomposition n’apparaissait encore, et il en fit la remarque à sa femme au moment où ils se mettaient à table pour dîner. Elle répondit : — « Tiens, elle est en bois ; elle se conserverait un an. »

On mangea le potage sans prononcer une parole. Les enfants, laissés libres tout le jour, exténués de fatigue, sommeillaient sur leurs chaises et tout le monde restait silencieux.

Soudain la clarté de la lampe baissa.

Mme Caravan aussitôt remonta la clef ; mais l’appareil rendit un son creux, un bruit de gorge prolongé, et la lumière s’éteignit. On avait oublié d’acheter de l’huile ! Aller chez l’épicier retarderait le dîner, on chercha des bougies ; mais il n’y en avait plus d’autres que celles allumées en haut sur la table de nuit.