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une partie de campagne

amour bête de la nature qui les hante toute l’année derrière le comptoir de leur boutique.

La jeune fille, émue, leva les yeux et regarda le canotier. M. Dufour parla pour la première fois. — « Ça, c’est une vie, » dit-il. Il ajouta : — « Encore un peu de lapin, ma bonne. « — « Non, merci, mon ami. »

Elle se tourna de nouveau vers les jeunes gens, et, montrant leurs bras : — « Vous n’avez jamais froid comme ça ? « dit-elle.

Ils se mirent à rire tous les deux, et ils épouvantèrent la famille par le récit de leurs fatigues prodigieuses, de leurs bains pris en sueur, de leurs courses dans le brouillard des nuits ; et ils tapèrent violemment sur leur poitrine pour montrer quel son ça rendait. — « Oh ! vous avez l’air solides, » dit le mari qui ne parlait plus du temps où il rossait les Anglais.

La jeune fille les examinait de côté maintenant ; et le garçon aux cheveux jaunes, ayant bu de travers, toussa éperdument, arrosant la robe en soie cerise de la patronne qui se fâcha et fit apporter de l’eau pour laver les taches.

Cependant, la température devenait terrible. Le fleuve étincelant semblait un foyer de chaleur, et les fumées du vin troublaient les têtes.

M. Dufour, que secouait un hoquet violent, avait déboutonné son gilet et le haut de son pantalon ; tandis que sa femme, prise de suffocations, dégrafait sa robe peu à peu. L’apprenti balançait d’un air gai sa tignasse de lin et se versait à boire coup sur coup. La