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les tombales

— Une morte ?

— Oui, madame.

— Votre femme ?

— Une amie.

— On peut aimer une amie autant que sa femme, la passion n’a pas de loi.

— Oui, madame. Et nous voilà partis ensemble, elle appuyée sur moi, moi la portant presque par les chemins du cimetière. Quand nous en fûmes sortis, elle murmura, défaillante :

– Je crois que je vais me trouver mal.

– Voulez-vous entrer quelque part, prendre quelque chose ?

— Oui, monsieur.

J’aperçus un restaurant, un de ces restaurants où les amis des morts vont fêter la corvée finie. Nous y entrâmes. Et je lui fis boire une tasse de thé bien chaud qui parut la ranimer. Un vague sourire lui vint aux lèvres. Et elle me parla d’elle. C’était si triste, si triste d’être toute seule dans la vie, toute seule chez soi, nuit et jour, de n’avoir plus personne à qui donner de l’affection, de la confiance, de l’intimité.

Cela avait l’air sincère. C’était gentil dans sa bouche. Je m’attendrissais. Elle était fort jeune, vingt ans peut-être. Je lui fis des compliments qu’elle accepta fort bien. Puis, comme l’heure passait, je lui proposai de la reconduire chez elle avec une voiture. Elle accepta ; et, dans le fiacre, nous restâmes tellement l’un contre l’autre, épaule contre épaule, que nos chaleurs se mê-