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UN FOU ?

Un orage montait dans le ciel, étouffant et noir, après une journée d’atroce chaleur. Aucun souffle d’air ne remuait les feuilles. Une vapeur chaude de four passait sur les visages, faisait haleter les poitrines. Je me sentais mal à l’aise, agité, et je voulus gagner mon lit.

Quand il me vit me lever pour partir, Jacques Parent me saisit le bras d’un geste effaré.

— Oh ! non, reste encore un peu, me dit-il.

Je le regardai avec surprise en murmurant :

— C’est que cet orage me secoue les nerfs.

Il gémit, ou plutôt il cria :

— Et moi donc ! Oh ! reste, je te prie ; je ne voudrais pas demeurer seul.

Il avait l’air affolé.

Je prononçai :

— Qu’est-ce que tu as ? Perds-tu la tête ?

Et il balbutia :

— Oui, par moments, dans les soirs comme celui-ci, dans les soirs d’électricité… j’ai… j’ai… j’ai peur… j’ai peur de moi… tu ne me comprends pas ? C’est que je suis doué d’un pouvoir… non… d’une puissance… non… d’une force… Enfin je ne sais pas dire ce que c’est, mais j’ai en moi une action magnétique si extraordinaire que j’ai peur, oui,