Page:Maupassant - Le Horla, OC, Conard, 1909.djvu/69

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et je me sentis saisi, comme je ne l’avais jamais été, par l’émotion puissante et singulière que font naître en moi les marécages. Il était mort, celui-là, mort de froid, puisque nous marchions dessus, au milieu de son peuple de joncs desséchés.

Tout à coup, au détour d’une des allées, j’aperçus la hutte de glace qu’on avait construite pour nous mettre à l’abri. J’y entrai, et comme nous avions encore près d’une heure à attendre le réveil des oiseaux errants, je me roulai dans ma couverture pour essayer de me réchauffer.

Alors, couché sur le dos, je me mis à regarder la lune déformée, qui avait quatre cornes à travers les parois vaguement transparentes de cette maison polaire.

Mais le froid du marais gelé, le froid de ces murailles, le froid tombé du firmament me pénétra bientôt d’une façon si terrible, que je me mis à tousser.

Mon cousin Karl fut pris d’inquiétude : « Tant pis si nous ne tuons pas grand’chose aujourd’hui, dit-il, je ne veux pas que tu t’enrhumes ; nous allons faire du feu. » Et il donna l’ordre au garde de couper des roseaux.

On en fit un tas au milieu de notre hutte défoncée au sommet pour laisser échapper la fumée ; et lorsque la flamme rouge monta le