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UNE FAMILLE

t’amuser », me dit-il. Et tous les enfants, comprenant qu’on allait me donner le spectacle de grand-papa gourmand, se mirent à rire en même temps, tandis que leur mère souriait seulement en haussant les épaules.

Radevin se mit à hurler vers le vieillard en formant porte-voix de ses mains.

— Nous avons ce soir de la crème au riz sucré ! La face ridée de l’aïeul s’illumina et il trembla plus fort de haut en bas, pour indiquer qu’il avait compris et qu’il était content.

Et on commença à dîner.

« Regarde », murmura Simon. Le grand-père n’aimait pas la soupe et refusait d’en manger. On l’y forçait, pour sa santé ; et le domestique lui enfonçait de force dans la bouche la cuiller pleine, tandis qu’il soufflait avec énergie, pour ne pas avaler le bouillon rejeté ainsi en jet d’eau sur la table et sur ses voisins.

Les petits enfants se tordaient de joie, tandis que leur père, très content, répétait : « Est-il drôle, ce vieux ! »

Et tout le long du repas on ne s’occupa que de lui. Il dévorait du regard les plats posés sur la table ; et de sa main follement agitée essayait de les saisir et de les attirer à lui. On les posait presque à portée pour voir ses efforts éperdus, son élan tremblotant vers eux, l’appel désolé de tout son être, de son œil, de sa bouche, de son