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L’AUBERGE

compagnon. Un nuage mouvant, profond et léger, d’écume blanche s’abattait sur eux, autour d’eux, sans bruit, les ensevelissait peu à peu sous un épais et lourd matelas de mousse. Cela dura quatre jours et quatre nuits. Il fallut dégager la porte et les fenêtres, creuser un couloir et tailler des marches pour s’élever sur cette poudre de glace que douze heures de gelée avaient rendue plus dure que le granit des moraines.

Alors, ils vécurent comme des prisonniers, ne s’aventurant plus guère en dehors de leur demeure. Ils s’étaient partagés les besognes qu’ils accomplissaient régulièrement. Ulrich Kunsi se chargeait des nettoyages, des lavages, de tous les soins et de tous les travaux de propreté. C’était lui aussi qui cassait le bois, tandis que Gaspard Hari faisait la cuisine et entretenait le feu. Leurs ouvrages, réguliers et monotones, étaient interrompus par de longues parties de cartes ou de dés. Jamais ils ne se querellaient, étant tous deux calmes et placides. Jamais même ils n’avaient d’impatiences, de mauvaise humeur, ni de paroles aigres, car ils avaient fait provision de résignation pour cet hivernage sur les sommets.

Quelquefois, le vieux Gaspard prenait son fusil et s’en allait à la recherche des chamois ; il en tuait de temps en temps. C’était alors fête dans l’auberge de Schwarenbach et grand festin de chair fraîche.