Page:Maupassant - Le Horla, Ollendorff, 1905.djvu/256

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
250
l’auberge

montagne ! Alors, une épouvante le secoua jusqu’aux os. D’un bond il rentra dans l’auberge, ferma la porte et poussa les verrous ; puis il tomba grelottant sur une chaise, certain qu’il venait d’être appelé par son camarade au moment où il rendait l’esprit.

De cela il était sûr, comme on est sûr de vivre ou de manger du pain. Le vieux Gaspard Hari avait agonisé pendant deux jours et trois nuits quelque part, dans un trou, dans un de ces profonds ravins immaculés dont la blancheur est plus sinistre que les ténèbres des souterrains. Il avait agonisé pendant deux jours et trois nuits, et il venait de mourir tout à l’heure en pensant à son compagnon. Et son âme, à peine libre, s’était envolée vers l’auberge où dormait Ulrich, et elle l’avait appelé de par la vertu mystérieuse et terrible qu’ont les âmes des morts de hanter les vivants. Elle avait crié, cette âme sans voix, dans l’âme accablée du dormeur ; elle avait crié son adieu dernier, ou son reproche, ou sa malédiction sur l’homme qui n’avait point assez cherché.

Et Ulrich la sentait là, tout près, derrière le mur, derrière la porte qu’il venait de refermer. Elle rôdait, comme un oiseau de nuit qui frôle de ses plumes une fenêtre éclairée ; et le jeune homme éperdu était prêt à hurler d’horreur. Il voulait s’enfuir et n’osait point sortir ; il n’osait point et n’oserait plus désormais, car le fantôme