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amour

chargé de froid qui déchire la chair comme des scies, la coupe comme des lames, la pique comme des aiguillons empoisonnés, la tord comme des tenailles, et la brûle comme du feu.

Mon cousin se frottait les mains : « Je n’ai jamais vu une gelée pareille, disait-il, nous avions déjà douze degrés sous zéro à six heures du soir. »

J’allai me jeter sur mon lit aussitôt après le repas, et je m’endormis à la lueur d’une grande flamme flambant dans ma cheminée.

À trois heures sonnantes on me réveilla. J’endossai, à mon tour, une peau de mouton et je trouvai mon cousin Karl couvert d’une fourrure d’ours. Après avoir avalé chacun deux tasses de café brûlant suivies de deux verres de fine champagne, nous partîmes accompagnés d’un garde et de nos chiens : Plongeon et Pierrot.

Dès les premiers pas dehors, je me sentis glacé jusqu’aux os. C’était une de ces nuits où la terre semble morte de froid. L’air gelé devient résistant, palpable tant il fait mal ; aucun souffle ne l’agite ; il est figé, immobile ; il mord, traverse, dessèche, tue les arbres, les plantes, les insectes, les petits oiseaux eux-mêmes qui tombent des branches sur le sol dur, et deviennent durs aussi, comme lui, sous l’étreinte du froid.

La lune, à son dernier quartier, toute penchée sur le côté, toute pâle, paraissait défaillante au