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amour

Rien ne m’émeut comme cette première clameur de vie qu’on ne voit point et qui court dans l’air sombre, si vite, si loin, avant qu’apparaisse à l’horizon la première clarté des jours d’hiver. Il me semble à cette heure glaciale de l’aube, que ce cri fuyant emporté par les plumes d’une bête est un soupir de l’âme du monde !

Karl disait : « Éteignez le feu. Voici l’aurore. »

Le ciel en effet commençait à pâlir, et les bandes de canards traînaient de longues taches rapides, vite effacées, sur le firmament.

Une lueur éclata dans la nuit, Karl venait de tirer ; et les deux chiens s’élancèrent.

Alors, de minute en minute, tantôt lui et tantôt moi, nous ajustions vivement dès qu’apparaissait au-dessus des roseaux l’ombre d’une tribu volante. Et Pierrot et Plongeon, essoufflés et joyeux, nous rapportaient des bêtes sanglantes dont l’œil quelquefois nous regardait encore.

Le jour s’était levé, un jour clair et bleu ; le soleil apparaissait au fond de la vallée et nous songions à repartir, quand deux oiseaux, le col droit et les ailes tendues, glissèrent brusquement sur nos têtes. Je tirai. Un d’eux tomba presque à mes pieds. C’était une sarcelle au ventre d’argent. Alors, dans l’espace au-dessus de moi, une voix, une voix d’oiseau cria. Ce fut une plainte courte, répétée, déchirante ; et la bête, la petite bête épargnée se mit à tourner dans le