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le trou

« Moi, j’en avais les larmes aux yeux. Et puis je sentais Mme Renard en ébullition ; elle me lancicotait sans cesse : « Ah ! misère ! crois-tu qu’il te le vole, ton poisson ? Crois-tu ? Tu ne prendras rien, toi, pas une grenouille, rien de rien, rien. Tiens, j’ai du feu dans la main, rien que d’y penser. »

« Moi, je me disais : — Attendons midi. Il ira déjeuner, ce braconnier-là, et je la reprendrai, ma place. Vu que moi, m’sieu le président, je déjeune sur les lieux tous les dimanches. Nous apportons les provisions dans Dalila.

« Ah ! ouiche. Midi sonne ! Il avait un poulet dans un journal, le malfaiteur, et pendant qu’il mange, v’là qu’il en prend encore un, de chevesne !

« Mélie et moi nous cassions une croûte aussi, comme ça, sur le pouce, presque rien, le cœur n’y était pas.

« Alors, pour faire digestion, je prends mon journal. Tous les dimanches, comme ça, je lis le Gil Blas, à l’ombre, au bord de l’eau. C’est le jour de Colombine, vous savez bien, Colombine qu’écrit des articles dans le Gil Blas. J’avais coutume de faire enrager Mme Renard en prétendant la connaître, c’te Colombine. C’est pas vrai, je la connais pas, je ne l’ai jamais vue, n’importe, elle écrit bien ; et puis elle dit des choses rudement d’aplomb pour une femme. Moi, elle me va, y en a pas beaucoup dans son genre.