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UN BANDIT CORSE

Sur les deux sommets élancés qui dominent ce passage, quelques vieux arbres difformes semblent avoir monté péniblement, comme des éclaireurs partis devant la multitude tassée derrière. Nous étant retournés nous aperçûmes toute la forêt, étendue sous nous, pareille à une immense cuvette de verdure dont les bords, qui semblaient toucher au ciel, étaient faits de rochers nus l’enfermant de toutes parts.

On se remit en route, et dix minutes plus tard nous atteignîmes le défilé.

Alors j’aperçus un surprenant pays. Au delà d’une autre forêt, une vallée, mais une vallée comme je n’en avais jamais vu, une solitude de pierre longue de dix lieues, creusée entre des montagnes hautes de deux mille mètres et sans un champ, sans un arbre visible. C’est le Niolo, la patrie de la liberté corse, la citadelle inaccessible d’où jamais les envahisseurs n’ont pu chasser les montagnards.

Mon compagnon me dit : « C’est aussi là que se sont réfugiés tous nos bandits. »

Bientôt nous fûmes au fond de ce trou sauvage et d’une inimaginable beauté.