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CLAIR DE LUNE

J’entendis du bruit derrière moi. Un homme était debout qui me regardait. Quand je tournai la tête, il me reconnut et s’avança : « Vous pleurez, Madame ? ».

C’était un jeune avocat qui voyageait avec sa mère et que nous avions plusieurs fois rencontré. Ses yeux m’avaient souvent suivie.

J’étais tellement bouleversée que je ne sus quoi répondre, quoi penser. Je me levai et je me dis souffrante.

Il se mit à marcher près de moi, d’une façon naturelle et respectueuse, et me parla de notre voyage. Tout ce que j’avais ressenti, il le traduisait ; tout ce qui me faisait frissonner, il le comprenait comme moi, mieux que moi. Et soudain il me dit des vers, des vers de Musset. Je suffoquais, saisie d’une émotion intraduisible. Il me semblait que les montagnes elles-mêmes, le lac, le clair de lune, chantaient des choses ineffablement douces…

Et cela se fit je ne sais comment, je ne sais pourquoi, dans une sorte d’hallucination…

Quant à lui…, je ne l’ai revu que le lendemain, au moment du départ.