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UNE PASSION.

que de coutume. Elle savait l’affreuse nouvelle, et, sans ôter son chapeau, lui prenant les mains et les serrant nerveusement, les yeux dans les yeux, la voix vibrante et résolue : « Tu vas partir ; je le sais. J’ai d’abord eu l’âme brisée ; puis j’ai compris ce que j’avais à faire. Je n’hésite plus. Je viens t’apporter la plus grande preuve d’amour qu’une femme puisse offrir : je te suis. Pour toi, j’abandonne mon mari, mes enfants, ma famille. Je me perds, mais je suis heureuse : il me semble que je me donne à toi de nouveau, C’est le dernier et le plus grand sacrifice ; je suis à toi pour toujours ! »

Il eut une sueur froide dans le dos, et fut saisi d’une rage sourde et furieuse, d’une colère de faible. Cependant il se calma, et d’un ton désintéressé, avec des douceurs dans la voix, refusa son sacrifice, tâcha de l’apaiser, de la raisonner, de lui faire toucher sa folie ! Elle l’écoutait en le regardant en face avec ses yeux noirs, la lèvre dédaigneuse, sans rien répondre. Quand il eut fini, elle lui dit seulement : « Est-ce que tu serais un lâche ? serais-tu de ceux qui séduisent une femme, puis l’abandonnent au premier caprice ? »