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LE GATEAU

autre le couteau et se mêlait de nouveau dans la foule des suivants et admirateurs de la « belle Madame Anserre ».

Cet état de choses dura longtemps, longtemps ; mais les comètes ne brillent pas toujours du même éclat. Tout vieillit par le monde. On eût dit, peu à peu, que l’empressement des découpeurs s’affaiblissait ; ils semblaient hésiter parfois, quand on leur tendait le plat ; cette charge jadis tant enviée devenait moins sollicitée ; on la conservait moins longtemps ; on en paraissait moins fier. Mme Anserre prodiguait les sourires et les amabilités ; hélas ! on ne coupait plus volontiers. Les nouveaux venus semblaient s’y refuser. Les « anciens favoris » reparurent un à un comme des princes détrônés qu’on replace un instant au pouvoir. Puis, les élus devinrent rares, tout à fait rares. Pendant un mois, ô prodige, M. Anserre ouvrit le gâteau ; puis il eut l’air de s’en lasser ; et l’on vit un soir Mme Anserre, la belle Mme Anserre, découper elle-même.

Mais cela paraissait l’ennuyer beaucoup, et le lendemain, elle insista si fort auprès d’un invité qu’il n’osa point refuser.