Page:Maupassant - Les Sœurs Rondoli, OC, Conard, 1909.djvu/299

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jamais ton mari en public, en wagon, au restaurant. C’est du plus mauvais goût ; refoule ton envie. Il se sentirait ridicule et t’en voudrait toujours.

Méfie-toi surtout des baisers inutiles prodigués dans l’intimité. Tu en fais, j’en suis certaine, une effroyable consommation.

Ainsi je t’ai vue un jour tout à fait choquante. Tu ne te le rappelles pas sans doute.

Nous étions tous trois dans ton petit salon, et, comme vous ne vous gêniez guère devant moi, ton mari te tenait sur ses genoux et t’embrassait longuement la nuque, la bouche perdue dans les cheveux frisés du cou. Soudain tu as crié : « Ah ! le feu ! » Vous n’y songiez guère, il s’éteignait. Quelques tisons assombris expirants rougissaient à peine le foyer. Alors il s’est levé, s’élançant vers le coffre à bois où il saisit deux bûches énormes qu’il rapportait à grand’peine, quand tu es venue vers lui les lèvres mendiantes, murmurant : « Embrasse-moi. » Il tourna la tête avec effort en soutenant péniblement les souches. Alors tu posas doucement, lentement, ta bouche sur celle du malheureux qui demeura le col de travers, les reins tordus, les bras rompus, tremblant de fatigue et d’effort désespéré.