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deux amis

Chaque dimanche, il rencontrait là un petit homme replet et jovial, M. Sauvage, mercier, rue Notre-Dame-de-Lorette, autre pêcheur fanatique. Ils passaient souvent une demi-journée côte à côte, la ligne à la main et les pieds ballants au-dessus du courant ; et ils s’étaient pris d’amitié l’un pour l’autre.

En certains jours, ils ne parlaient pas. Quelquefois ils causaient ; mais ils s’entendaient admirablement sans rien dire, ayant des goûts semblables et des sensations identiques.

Au printemps, le matin, vers dix heures, quand le soleil rajeuni faisait flotter sur le fleuve tranquille cette petite buée qui coule avec l’eau, et versait dans le dos des deux enragés pêcheurs une bonne chaleur de saison nouvelle, Morissot parfois disait à son voisin : « Hein ! quelle douceur ! » et M. Sauvage répondait : « Je ne connais rien de meilleur ». Et cela leur suffisait pour se comprendre et s’estimer.

À l’automne, vers la fin du jour, quand le ciel, ensanglanté par le soleil couchant, jetait dans l’eau des figures de nuages écarlates, empourprait le fleuve entier, enflammait l’horizon, faisait rouges comme du feu entre les deux amis, et dorait les arbres roussis déjà, frémissants d’un frisson d’hiver, M. Sauvage