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MARROCA

ma comparaison cette invraisemblable baie de Porto, ceinte de granit rouge, et habitée par les fantastiques et sanglants géants de pierre qu’on appelle les « Calanche » de Piana, sur les côtes ouest de la Corse.

De loin, de très loin, avant de contourner le grand bassin où dort l’eau pacifique, on aperçoit Bougie. Elle est bâtie sur les flancs rapides d’un mont très élevé et couronnée par des bois. C’est une tache blanche dans cette pente verte ; on dirait l’écume d’une cascade tombant à la mer.

Dès que j’eus mis le pied dans cette toute petite et ravissante ville, je compris que j’allais y rester longtemps. De partout l’œil embrasse un véritable cercle de sommets crochus, dentelés, cornus et bizarres, tellement fermé qu’on découvre à peine la pleine mer, et que le golfe a l’air d’un lac. L’eau bleue, d’un bleu laiteux, est d’une transparence admirable ; et le ciel d’azur, d’un azur épais, comme s’il avait reçu deux couches de couleur, étale au-dessus sa surprenante beauté. Ils semblent se mirer l’un dans l’autre et se renvoyer leurs reflets.

Bougie est la ville des ruines. Sur le quai, en arrivant, on rencontre un débris si magnifique, qu’on le dirait d’opéra. C’est la vieille porte Sarrasine, envahie