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l’héritage

Chaque soir, ils se promenaient tous trois le long de la rive jusqu’au barrage de la Morue, et ils entraient boire une bouteille de bière au restaurant des Tilleuls. Le fleuve, arrêté par la longue file de piquets, s’élançait entre les joints, sautait, bouillonnait, écumait, sur une largeur de cent mètres ; et le ronflement de la chute faisait frémir le sol, tandis qu’une fine buée, une vapeur humide flattait dans l’air, s’élevait de la cascade comme une fumée légère, jetant aux environs une odeur d’eau battue et une saveur de vase remuée.

La nuit tombait. Là-bas, en face, une grande lueur indiquait Paris, et faisait répéter chaque soir à Cachelin : « Hein ! quelle ville tout de même ! » De temps en temps, un train passant sur le pont de fer qui coupe le bout de l’île faisait un roulement de tonnerre et disparaissait bientôt, soit vers la gauche, soit vers la droite, vers Paris ou vers la mer.

Ils revenaient à pas lents, regardant se lever la lune, s’asseyant sur un fossé pour voir plus longtemps tomber dans le fleuve tranquille sa molle et jaune fumière qui semblait couler avec l’eau et que les rides du courant remuaient comme une moire de feu. Les crapauds poussaient leur cri métallique et court. Des appels d’oiseaux de nuit couraient dans l’air. Et parfois une grande ombre muette glissait sur la rivière,