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miss harriet

à la table commune, afin de faire connaissance avec cette vieille originale. Mais elle ne répondit pas à mes politesses, insensible même à mes petits soins. Je lui versais de l’eau avec obstination, je lui passais les plats avec empressement. Un léger mouvement de tête, presque imperceptible, et un mot anglais murmuré si bas que je ne l’entendais point, étaient ses seuls remerciements.

Je cessai de m’occuper d’elle, bien qu’elle inquiétât ma pensée.

Au bout de trois jours j’en savais sur elle aussi long que Mme Lecacheur elle-même.

Elle s’appelait miss Harriet. Cherchant un village perdu pour y passer l’été, elle s’était arrêtée à Bénouville, six semaines auparavant, et ne semblait point disposée à s’en aller. Elle ne parlait jamais à table, mangeait vite, tout en lisant un petit livre de propagande protestante. Elle en distribuait à tout le monde, de ces livres. Le curé lui-même en avait reçu quatre apportés par un gamin moyennant deux sous de commission. Elle disait quelquefois à notre hôtesse, tout à coup, sans que rien préparât cette déclaration : « Je aimé le Seigneur plus que tout ; je le admiré dans toute son création, je le adoré dans toute son nature, je le pôrté toujours dans mon cœur. » Et elle remettait aussitôt à la paysanne interdite une de ses brochures destinées à convertir l’univers.