Page:Maupassant - Miss Harriet - Ollendorff, 1907.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
24
miss harriet

« Regarde ça, ma vieille. Tu n’en verras pas souvent de pareilles. »

En arrivant devant la maison, j’appelai aussitôt la mère Lecacheur en braillant à tue-tête :

« Ohé ! ohé ! La patronne, amenez-vous et pigez-moi ça. »

La paysanne arriva et considéra mon œuvre de son œil stupide qui ne distinguait rien, qui ne voyait même pas si cela représentait un bœuf ou une maison.

Miss Harriet rentrait, et elle passait derrière moi juste au moment où, tenant ma toile à bout de bras, je la montrais à l’aubergiste. La démoniaque ne put pas ne pas la voir, car j’avais soin de présenter la chose de telle sorte qu’elle n’échappât point à son œil. Elle s’arrêta net, saisie, stupéfaite. C’était sa roche, paraît-il, celle où elle grimpait pour rêver à son aise.

Elle murmura un « Aoh ! » britannique si accentué et si flatteur, que je me tournai vers elle en souriant ; et je lui dis :

— C’est ma dernière étude, mademoiselle.

Elle murmura, extasiée, comique et attendrissante :

— Oh ! monsieur, vô comprené le nature d’une fàçon palpitante.

Je rougis, ma foi, plus ému par ce compliment que s’il fût venu d’une reine. J’étais séduit, conquis, vaincu. Je l’aurais embrassée, parole d’honneur !