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la mère sauvage

papiers, et, pour les distinguer aux dernières lueurs du feu, elle ajusta encore ses lunettes, puis elle prononça, montrant l’un : « Ça, c’est la mort de Victor. » Montrant l’autre, elle ajouta, en désignant les ruines rouges d’un coup de tête : « Ça, c’est leurs noms pour qu’on écrive chez eux. » Elle tendit tranquillement la feuille blanche à l’officier, qui la tenait par les épaules, et elle reprit :

— Vous écrirez comment c’est arrivé, et vous direz à leurs parents que c’est moi qui a fait ça, Victoire Simon, la Sauvage ! N’oubliez pas.

L’officier criait des ordres en allemand. On la saisit, on la jeta contre les murs encore chauds de son logis. Puis douze hommes se rangèrent vivement en face d’elle, à vingt mètres. Elle ne bougea point. Elle avait compris ; elle attendait.

Un ordre retentit, qu’une longue détonation suivit aussitôt. Un coup attardé partit tout seul, après les autres.

La vieille ne tomba point. Elle s’affaissa comme si on lui eût fauché les jambes.

L’officier prussien s’approcha. Elle était presque coupée en deux, et dans sa main crispée elle tenait sa lettre baignée de sang.


Mon ami Serval ajouta :

— C’est par représailles que les Allemands ont détruit le château du pays, qui m’appartenait.

Moi, je pensais aux mères des quatre doux