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l’héritage

Et Maze murmura d’un ton dédaigneux : « Pour ceux qui jugent le ministère une carrière — oui. — Pour les autres — c’est peu… »

Pitolet l’interrompit : « Vous avez peut-être l’intention de devenir ambassadeur ? »

L’autre fit un geste impatient : « Il ne s’agit pas de moi. Moi, je m’en fiche ! Cela n’empêche que la situation de chef de bureau ne sera jamais grand’chose dans le monde. »

Le père Savon, l’expéditionnaire, n’avait point cessé de copier. Mais depuis quelques instants, il trempait coup sur coup sa plume dans l’encrier, puis l’essuyait obstinément sur l’éponge imbibée d’eau qui entourait le godet, sans parvenir à tracer une lettre. Le liquide noir glissait le long de la pointe de métal et tombait, en pâtés ronds, sur le papier. Le bonhomme, effaré et désolé, regardait son expédition qu’il lui faudrait recommencer, comme tant d’autres depuis quelque temps, et il dit, d’une voix basse et triste :

« Voici encore de l’encre falsifiée !… »

Un éclat de rire violent jaillit de toutes les bouches. Cachelin secouait la table avec son ventre : Maze se courbait en deux comme s’il allait entrer à reculons dans la cheminée : Pitolet tapait du pied, toussait, agitait sa main droite comme si elle eût été mouillée, et Boissel lui-même étouffait, bien qu’il prît généralement les choses plutôt au tragique qu’au comique.