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SOUVENIRS



Ma chère Sophie,

Non, je ne viendrai pas à Paris ce printemps. Je reste chez moi, dans mon trou, comme tu dis. Je me fais l’effet des vieilles bêtes qui ne sortent plus de leur terrier, parce que tout les fatigue et que tout les effraye. Je ne suis plus de l’âge où l’on a des curiosités, des plaisirs et des joies nouvelles. Je n’ai que des joies anciennes, mes plaisirs ne sont que de la résignation, et je vis dans les souvenirs comme les jeunes gens vivent dans l’espérance.

Te rappelles-tu un vers de M. Sainte-Beuve, que nous avons lu ensemble et qui est resté enfoncé dans ma tête, car il me dit tant de choses, à moi, ce vers ! Il a bien souvent soutenu mon pauvre cœur :

Naître, vivre et mourir dans la même maison.

Je ne la puis plus quitter maintenant, cette maison où je suis née, où j’ai vécu,