Page:Maupassant - Sur l'eau, 1888.djvu/112

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cœur. Comme certains bruits, certaines notes, certaines voix nous déchirent, nous jettent en une seconde dans l’âme tout ce qu’elle peut contenir de douleur, d’affolement et d’angoisse. J’écoutais attendant, et je l’entendis encore, ce bruit qui semblait sorti de moi-même, arraché à mes nerfs, ou plutôt qui résonnait en moi comme un appel intime, profond et désolé ! Oui, c’était une voix cruelle, une voix connue, attendue, et qui me désespérait. Il passait sur moi ce son faible et bizarre, comme un semeur d’épouvante et de délire, car il eut aussitôt la puissance d’éveiller l’affreuse détresse sommeillant toujours au fond du cœur de tous les vivants. Qu’était-ce ? C’était la voix qui crie sans fin dans notre âme et qui nous reproche d’une façon continue, obscurément et douloureusement, torturante, harcelante, inconnue, inapaisable, inoubliable, féroce, qui nous reproche tout ce que nous avons fait et en même temps tout ce que nous n’avons pas fait, la voix des vagues remords, des regrets sans retours, des jours finis, des femmes rencontrées