Page:Maupassant - Sur l'eau, 1888.djvu/129

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était mort, le fils était mort. Ces gueux passaient pourtant pour de bonnes gens qu’on aimait et qu’on estimait, de simples et honnêtes gens !

Je regardais fumer mes bottes et dormir mon chien, et en moi entra soudain une joie sensuelle et honteuse en comparant mon sort à celui de ces forçats.

La petite fille se mit à râler, et tout à coup ce souffle rauque me devint intolérable ; il me déchirait comme une pointe dont chaque coup m’entrait au cœur.

J’allai vers elle :

— Veux-tu boire ? lui dis-je.

Elle remua la tête pour dire oui, et je lui versai dans la bouche un peu d’eau qui ne passa point.

La mère, restée plus calme, s’était retournée pour regarder son enfant ; et voilà que soudain une peur me frôla, une peur sinistre qui me glissa sur la peau comme le contact d’une montre invisible. Où étais-je ? Je ne le savais plus ! Est-ce que je rêvais ? quel cauchemar m’avait saisi ?