Page:Maupassant - Yvette, OC, Conard, 1910.djvu/184

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lyi L'ABANDONNE.

de sa vie où elle eût vu et embrassé son fils, car jamais, depuis, elle ne l'avait seulement aperçu!

Et, depuis lors, quelle longue existence vide où flottait toujours, toujours, la pensée de cet enfant! Elle ne l'avait pas revu, pas une seule fois, ce petit être sorti d'elle, son fils! On l'avait pris, emporté, caché. Elle sa- vait seulement qu'il avait été élevé par des paysans normands , qu'il était devenu lui-même un paysan, et qu'il était marié, bien marié et bien doté par son père, dont il ignorait le nom.

Que de fois, depuis quarante ans, elle avait voulu partir pour le voir, pour l'embrasser ! Elle ne se figurait pas qu'il eût grandi! Elle songeait toujours à cette larve humaine qu'elle avait tenue un jour dans ses bras et serrée contre son flanc meurtri.

Que de fois elle avait dit à son amant : a Je n'y tiens plus, je veux le voir, je vais partir. »

Toujours il l'avait retenue, arrêtée. Elle ne saurait pas se contenir, se maîtriser; l'autre devinerait, l'exploiterait. Elle serait perdue.

— Comment est-il? disait-elle.

— Je ne sais pas. Je ne l'ai point revu non plus.