Page:Maupassant Bel-ami.djvu/352

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rêvé que nous faisions un grand voyage, tous les deux, sur un chameau. Il avait deux bosses, nous étions à cheval chacun sur une bosse, et nous traversions le désert. Nous avions emporté des sandwichs dans un papier et du vin dans une bouteille et nous faisions la dînette sur nos bosses. Mais ça m’ennuyait parce que nous ne pouvions pas faire autre chose ; nous étions trop loin l’un de l’autre, et moi je voulais descendre.

Il répondit : — Moi aussi je veux descendre.

Il riait, s’amusant de l’histoire, il la poussait à dire des bêtises, à bavarder, à raconter tous ces enfantillages, toutes ces niaiseries tendres que débitent les amoureux. Ces gamineries, qu’il trouvait gentilles dans la bouche de Mme de Marelle, l’auraient exaspéré dans celle de Mme Walter.

Clotilde l’appelait aussi : « Mon chéri, mon petit, mon chat. » Ces mots lui semblaient doux et caressants. Dits par l’autre tout à l’heure ils l’irritaient et l’écœuraient. Car les paroles d’amour, qui sont toujours les mêmes, prennent le goût des lèvres dont elles sortent.

Mais il pensait, tout en s’égayant de ces folies, aux soixante-dix mille francs qu’il allait gagner, et, brusquement, il arrêta, avec deux petits coups de doigt sur la tête, le verbiage de son amie : — Écoute, ma chatte. Je vais te charger d’une commission pour ton mari. Dis-lui de ma part, d’acheter, demain, pour dix mille francs d’emprunt du Maroc qui est à soixante-douze ; et je lui promets qu’il aura gagné de soixante à quatre-vingt mille francs avant trois mois. Recommande-lui le silence absolu. Dis-lui, de ma part, que l’expédition de Tanger est décidée et que l’État Français va garantir la dette marocaine. Mais ne te coupe pas avec d’autres. C’est un secret d’État que je confie là.