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se trouva presque inopinément à l’un des angles de la cathédrale. Arrivé là, il sembla tiré de sa rêverie et, comme s’il eût trouvé tout à coup un but à sa pensée, il entra dans la nef.

On célébrait en ce moment un service funèbre, et l’orgue remplissait les voûtes de la vieille église de ses vibrations formidables, mêlées à des modulations surprenantes entrecoupées de temps en temps par les voix claires et perçantes qui parlaient du maître-autel et dont les accents, succédant aux étourdissements de l’orgue, produisent une impression presque irrésistible dans certaines dispositions d’esprit.

L’inconnu, évitant par un mouvement indéfinissable de toucher au pinceau trempé d’eau bénite que lui tendait le vieillard accroupi comme une cariatide devant un des piliers du vestibule, s’était réfugié dans un des coins les plus obscurs de la nef. Les accents sombres et terribles de cette musique funèbre s’étaient emparés de son âme.

Les mugissements de l’orgue semblaient apaiser sa souffrance, et, quand il entendit les voix déchirantes des mezzi soprani, ses traits contractés se détendirent, des larmes vinrent à ses yeux, mais il réagit contre cette émotion qui ne dura qu’un instant, et reprit une attitude morne en murmurant un mot que personne ne pouvait entendre.

L’obscurité avait peu à peu envahi l’église, et on commençait à allumer les lampes dans l’intérieur de l’immense vaisseau.

Dans son trouble, l’inconnu n’avait pas remarqué, non loin de lui, deux femmes d’une mise irréprochable, paraissant abîmées dans la prière ; l’une d’elles, en dérangeant son voile par un mouvement involontaire,