Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/28

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drai que si je puis te rendre un jour une fortune actuellement anéantie. Souviens-toi que tu es un homme et que tu ne peux plus compter que sur toi. N’attends rien de ton oncle. Aujourd’hui, je le connais trop ! Courage, prudence, résignation, jusqu’à ce que je revienne. »

Et, depuis ce jour, Georges Raymond n’avait plus entendu parler de son père. Quelques mois après, il avait terminé ses études et arrivait au Havre pour faire ses adieux à son oncle, qui vivait sous la domination d’une servante, maîtresse absolue de sa maison.

― Tu pars, dis-tu ? et où veux-tu aller ? lui dit durement le vieillard ; tu m’as tout l’air d’être écervelé comme ton père, qui, après avoir fait sottement de la politique dans son pays, est allé se ruiner d’une manière non moins extravagante à l’étranger.

― Mon oncle, je ne vous demanderai rien, dit le jeune homme en refoulant ses larmes.

― Ah ! oui, on dit ces phrases-là et on ne s’en souvient plus quand on est sans le sou, répondit M. Durand. Tu peux trouver ici une place de douze cents francs tout de suite à la recette générale. Je t’ai déjà conseillé de la prendre, puisque tu es aujourd’hui sans fortune et que tu ne peux pas songer à gagner ta vie, comme avocat, avant quatre ou cinq ans. Mais si tu n’en veux faire qu’à ta tête, je m’en lave les mains, et ce n’est pas moi qui m’occuperai de tes affaires.

Georges sortit, le cœur brisé, sans dire un mot.

Le lendemain, le vieillard eut quelques remords et, sans en parler à sa servante, il passa chez son neveu qui était descendu à l’hôtel pour éviter à son oncle les embarras d’une hospitalité importune ; mais Georges était parti.