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malheurs de famille l’ont poussé à cette funeste résolution. Quelques Français résidant à la Havane lui ont rendu les derniers devoirs. »

À cette lecture, Georges Raymond demeura foudroyé.

Comment son père avait-il été amené à se délivrer de la vie par un suicide, sans songer à son fils, sans lui adresser un suprême adieu ?

M. Raymond avait-il été assassiné ? Mais comment, par qui, dans quelles circonstances ?

Telles étaient les pensées affreuses qui tourmentaient ce malheureux jeune homme pendant le jour et remplissaient ses nuits de cauchemars.

Il avait écrit immédiatement à son oncle ; il voulait partir pour la Havane. Mais avec quelles ressources ? Son oncle ne lui avait répondu que par une lettre banale sans souffler un mot d’argent !

Il avait fait au ministère des affaires étrangères démarches sur démarches sans obtenir aucun résultat.

Inconnu des anciens amis de son père, il n’en avait retrouvé aucun à qui il pût se confier. Le fait même avait passé presque inaperçu, et, trop fier pour se plaindre à des étrangers d’un malheur qui ne lui aurait attiré que de la compassion, Georges Raymond n’en avait parlé à personne ; mais il était tombé dans un accablement qui ne l’avait pas quitté depuis cette terrible nouvelle. Cette fois, il était bien seul au monde, et un souvenir funèbre pèserait sur toute sa vie.

Il fit alors un retour navrant sur les six années qui s’étaient écoulées depuis qu’il avait voulu tenter la fortune à Paris. Malgré des efforts opiniâtres, il n’avait pu secouer le joug de la pauvreté ; toutes ses illusions s’étaient envolées.