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sur les bords du nil

Je dois avouer que cette prière me remua profondément. Il y a quelque chose de si grand dans le sentiment religieux, exprimé publiquement et unanimement, quelque chose de si émouvant dans cet humble recours de la créature faible et impuissante, quand elle s’adresse au souverain maître de la création !

« Maintenant, reprit le vieux capitaine, retournez à vos places, soyez forts, luttez contre le torrent ! »

Les matelots du Nil ne se commandent pas comme un équipage européen. Le sang brûlant de l’Orient coule dans leurs veines ; ces hommes, à l’heure du péril, passent d’un excès de confiance à un abattement extrême. Tous crient, hurlent, prient, éclatent en imprécations, ou se répandent en des flux de paroles insensées ; puis, le danger à peine éloigné, ils se mettent à pousser des cris de joie, à battre des mains, à chanter, à faire mille extravagances, et cela en moins de quelques minutes.

Pour les animer à la besogne, pour activer leurs efforts, le capitaine doit aller de l’un à l’autre, gronder, blâmer les paresseux, les accabler de ces malédictions dont le vocabulaire arabe est si riche, encourager les travailleurs par les plus douces, les plus tendres exhortations, les appeler des héros, des hommes de cœur, etc. etc.

Hassan se dépensait avec la plus louable activité ; il avait doublé ses rameurs ; à la barre se tenaient trois pilotes expérimentés, trois conducteurs de barques connaissant tous les passages du Nil en cet endroit.

Cependant les flots se jetaient avec furie sur les roches dentelées ; leur écume, blanche comme la neige, rejaillissait au-dessus de nous ; le bruit de la cataracte parvenait alors distinctement à nos oreilles ; il allait grossissant comme le grondement du tonnerre ; il couvrait souvent la voix du commandant.

Le vaisseau gémissait et craquait dans toutes ses jointures. Les rames devenaient inutiles ; malgré tous les efforts des pilotes, le gouvernail ne suffisait plus à diriger le navire au milieu des flots soulevés.

Pour comble de danger, les rochers rétrécissaient de plus en plus le passage ; ils formaient comme des murailles hérissées, dont l’écartement était à peine assez large pour contenir la dahabïe. Sur ces blocs glissants, la vague descendait par endroits, pareille à une cascade impétueuse, renvoyée et multipliée