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les pirates de la mer rouge


mosquées sans qu’il me fût rien arrivé de fâcheux : pourquoi ne pas tenter de voir les cités saintes du mahométisme ? L’Orient est le pays des surprises ; les choses s’y passent le plus souvent d’une façon très différente de celle à laquelle on s’attend. Les hommes y sont plus modérés et plus traitables qu’on ne se l’imagine. Une visite de quelques heures à la Mecque ne me paraissait pas si terrible ni si impossible. Je m’étais noirci au brûlant soleil de ces contrées ; je parlais facilement la langue de ces peuples… Ce Turc venait de me prendre pour un vrai Bédouin. Ne fallait-il pas essayer au moins une expédition si curieuse ?

Je ne savais à quoi me résoudre ; je répondis d’un air distrait au brave Halef que je ne savais pas encore ce que je ferais.

« Tu viendras avec moi à la Mecque, Sidi, et auparavant tu embrasseras la vraie croyance.

— Quant à cela non. Halef, je t’assure ! »

Un appel retentissant détourna notre attention : le Turc rassemblait ses gens sur le rivage pour la prière.

« Effendi, reprit Halef, le soleil va disparaître, laisse-moi prier. »

Il s’agenouilla ; sa voix se mêla à la psalmodie monotone des matelots, que renvoyaient en écho merveilleusement distinct les rochers dont le rivage nord de la mer est bordé à cet endroit.

« Nous avons notre recours en Allah. Il est puissant, notre protecteur ! Nul n’est grand et magnifique comme lui. Notre Dieu est le seul puissant et fort. O Seigneur, ya Allah ! ô miséricordieux, ô très bon ! ya Allah ! Allah ! hou ! »

Ces mots furent répétés dans le lointain par une voix de bassetaille qui s’élevait tout à coup, de la plus étrange façon, toutes les fois que revenait le nom d’Allah ! Je reconnus le rythme : c’était celui des derviches hurleurs.

Tous les Turcs se levèrent, regardant dans la direction d’où venait la voix. Un radeau long de six pieds, large de quatre à peine, s’avançait sur les flots ; un homme agenouillé manœuvrait ses rames en cadence, tout en récitant la prière.

Il portait un tarbouch rouge, entouré d’un turban blanc comme le reste de ses vêtements. Cette couleur le faisait reconnaître pour un fakir Karderyeh, secte fondée par Ab-el-Kader el Djilani et composée en partie de pêcheurs et de mariniers.

Lorsque notre derviche eut aperçu le sambouk, il s’arrêta brusquement, puis cria de toutes ses forces :