Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
143
les pirates de la mer rouge

— Certainement ; mais nulle vaillance ne peut tenir contre Abou Seïf (le père du Sabre), plus terrible que le lion de la montagne, plus cruel que le requin de la mer.

— Abou Seïf ! je n’ai jamais entendu prononcer ce nom.

— Parce que tu es un étranger. Au temps des pâturages, les Djeheïnes conduisent leurs troupeaux dans les deux îles de Libuah et du Djebel Hassan. Ils les laissent sous la garde de quelques hommes, le reste de la tribu vit de brigandages et de pillages ; ils assaillent les vaisseaux, enlèvent leurs marchandises ou imposent aux passagers de grosses rançons.

— Et quelles mesures prend le gouvernement ?

— Que veux-tu dire ?

— Ne voyagez-vous pas et ne percevez-vous pas l’impôt sous la protection du sultan ?

— Le sultan ne peut rien sur les Djeheïnes ; ce sont des Arabes libres, ne relevant que du grand chérif de la Mecque.

— Eh bien, débarrassez-vous vous-mêmes de ces brigands !

— Effendi, tu parles comme un Franc, qui n’entend rien à nos affaires. Qui peut prendre Abou Seïf et le tuer ?

— Abou Seïf est un homme comme les autres.

— Oui, mais il possède la faveur du cheïtan (le diable). Il peut se rendre invisible, il s’envole sur les flots et traverse les airs ; ni sabres ni couteaux ne lui font de blessures ; jamais les balles ne l’ont atteint. Son sabre est enchanté, il pénètre à travers les murailles ; d’un seul coup il tue plus de cent hommes.

— Je voudrais bien voir ce personnage merveilleux !

— O malheur ! ne fait pas un tel souhait, Effendi ! Le diable lui dirait que tu désires le voir, et il viendrait t’assaillir, en quelque lieu du monde que tu te caches. Je vais aller te chercher un tapis ; tu dormiras, mais auparavant fais ta prière ; demande à ton Dieu d’éloigner de toi le danger que tu as attiré sur la tête ! »

Je remerciai le brave homme de son conseil, et fis tranquillement ma prière accoutumée ; puis nous nous enveloppâmes dans les couvertures. Le voyage nous avait fatigués, nous ne tardâmes pas à nous endormir profondément.

Quelques matelots veillaient seuls à la garde du trésor ; les autres étaient restés sur le rivage. Le lendemain, tout le monde fut sur pied dès l’aurore ; on leva l’ancre, on déploya les voiles, et le sambouk se dirigea vers le sud.