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les pirates de la mer rouge


nuit tomba ; on m’enferma dans mon réduit. La chaleur était plus étouffante que jamais ; elle semblait devenir plus lourde encore à mesure que la nuit s’avançait.

Je ne pouvais dormir. Bientôt j’entendis le grondement du tonnerre et le bruit des vagues agitées par la tempête. Notre petit vaisseau était vivement soulevé, puis s’enfonçait dans le creux profond de la vague ; il allait avec une rapidité effrayante, craquant et gémissant de toutes parts. La mâture semblait prête à tomber. J’entendis des hommes courir sur le pont, hurlant, criant, priant tout haut. Au milieu de la tempête et de l’effarement de son équipage, le capitaine commandait d’une voix retentissante ; il semblait garder tout son sang-froid. D’après mes calculs, nous devions nous trouver alors vis-à-vis des côtes de Rabbegh, dont les abords, vers le sud, sont tout hérissés de bancs de coraux, ce qui rend la navigation extrêmement périlleuse, même pendant le jour. Un peu plus loin sont situés l’île de Ghanat et le ras de Hatiba ; entre les deux, les récifs présentent des dangers encore plus grands et sont très difficiles à éviter, non seulement pendant la tempête, mais encore dans les moments de calme. Avant d’affronter ces terribles passages, les marins musulmans récitent toujours une prière. Ils appelent ce lieu les Deux Cordes, pour indiquer avec quelles précautions on doit manœuvrer entre les récifs.

Ce terrible passage, nous l’entreprenions de nuit ; nous nous y engagions, poussés par le vent, avec la rapidité d’une flèche.

Je me soulevais sur ma natte, j’écoutais avec inquiétude ; dans le cas où le vaisseau se briserait contre les rochers, j’étais perdu, car ma porte restait solidement verrouillée, et je me trouvais au niveau ordinaire de l’eau.

Tout à coup, au milieu du vacarme et des éclats de l’orage, il me sembla entendre gratter à ma porte. On ouvrit le verrou avec précaution. Bientôt, quelqu’un se glissa dans mon réduit.

« Sidi !… murmura une voix très basse.

— Qui est là ?

— Honneur à Dieu ! tu ne reconnais pas la voix de ton fidèle Halef ?

— Halef ! il ne peut bouger.

— Pourquoi pas ?

— Parce qu’il est blessé ; il a une jambe cassée.

— Oui, Sidi, je suis blessé, mais ma jambe reste bonne.