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les pirates de la mer rouge


européen. J’y goûtai avec délices. Après quoi mon compagnon me raconta son histoire ; il était de Trieste, orphelin de mère dès son bas âge ; n’ayant pas eu beaucoup à se louer de son père ni de sa belle-mère, il s’était mis à courir le monde, d’abord comme musicien ambulant. Devenu secrétaire du directeur de l’hôpital de Bombay, puis comptable chez un négociant de cette ville ; il avait fini par épouser la veuve de son patron.

Cette femme était morte, et l’aventurier autrichien retournait dans sa patrie avec une petite fortune. Il voyageait à sa fantaisie, sans trop compter ni son temps ni son argent. Il me plut ; nous liâmes une sorte d’intimité, comme il s’en établit facilement en pays lointain quand on est presque compatriotes.

« Combien de temps resterez-vous ici ? me demanda mon hôte au moment de nous séparer.

— Je ne sais. Mon domestique a besoin de huit jours pour faire son pèlerinage à la Mecque ; j’ai grande envie de le laisser partir, puis d’aller moi-même incognito visiter cette curieuse ville. Il faudrait, je le crains, feindre le mahométisme, ce qui me déplaît : de sorte que je ne sais à quoi me décider. Je suis venu ici pour étudier les mœurs de ces peuples. Serait-ce pécher que de se soumettre à une feinte nécessaire ?

— Je ne pourrais rien dire sur vos scrupules, n’étant nullement théologien ; mais, à mon avis, il n’est pas difficile de visiter la Mecque sans affecter aucunement le mahomélisme. Il n’y a pas que des pèlerins dans la ville sainte.

— Sans doute, il y a des marchands ; mais tous doivent faire acte de religion.

— On ne les suit pas pour y voir. Quant à moi, voici ce que je ferais ; on peut aller à cheval d’ici à la Mecque en huit heures ; avec un excellent chameau on n’en met que quatre. J’entrerais tranquillement le matin dans la ville, je déjeunerais dans un khan, je visiterais les rues et le sanctuaire sans me presser ; tout cela ne me demanderait que quelques heures. Tout le monde me prendrait pour un Arabe et s’inquiéterait peu de moi.

— Cela n’est point sans danger. L’entrée de la Mecque demeure interdite aux chrétiens ; ils ne doivent pas en approcher au delà de neuf milles. Si j’étais reconnu ?

— Bah ! Autrefois il en était de même pour la ville dans laquelle nous sommes.