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UNE AVENTURE EN TUNISIE

— Nous sommes de la célèbre famille des Oulad Hamalek.

— Les Oulad Hamalek sont de braves guerriers ; d’où venez-vous ?

— De Gaffa.

— Vous avez une longue route derrière vous ! Maintenant où allez-vous ?

— Au bir (puits) Saouidi, où nos amis nous attendent. »

Autant de mensonges que de paroles dans leurs réponses ; mais j’étais décidé à ne faire aucune objection pour commencer. Je continuai tranquillement : « Voulez-vous nous laisser voyager avec vous ?

— Nous restons ici jusqu’à demain matin, répondit le plus âgé des deux, évitant de se compromettre par un oui ou un non.

— Nous avons aussi l’intention de nous reposer jusqu’au prochain soleil. Il y a assez d’eau pour vous et pour nous ; nous camperons ici.

— Le désert est à tous ; soyez les bienvenus ! »

Malgré ce semblant de politesse, il était facile de voir qu’il lui eût été beaucoup plus agréable de nous voir continuer notre chemin.

Cependant nous laissâmes nos chevaux paître autour du marais, et nous nous assîmes sans façon auprès des deux voyageurs.

Leurs figures n’étaient pas faites pour inspirer la confiance : le plus âgé, qui jusqu’alors avait seul porté la parole, était grand et maigre ; son burnous sale, déchiré, pendant de ses épaules, lui donnait l’air d’un épouvantail pour les oiseaux. Sous son vieux turban bleu étincelaient des yeux méchants et faux ; autour de ses lèvres pâles on eût pu compter les poils de sa barbe noire ; son menton touchait presque son nez, un nez fin, recourbé, pareil au terrible bec des vautours que nous venions de rencontrer s’acharnant sur les cadavres.

L’autre individu était un jeune homme d’une étrange beauté, mais dont les passions précoces avaient altéré le regard et énervé les forces. Ses joues blêmes, son front flétri, m’inspirèrent une sorte de dégoût. Le plus âgé parlait l’arabe avec l’accent des riverains de l’Euphrate ; le plus jeune me fit l’effet d’un Européen déguisé. Leurs chevaux paraissaient mauvais et surmenés, mais leurs armes étaient fort riches. À la place où tous deux se trouvaient assis avant notre arrivée, gisaient quelques objets que ces