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UNE AVENTURE EN TUNISIE

— Pourquoi Omar, ton fils, s’est-il fait guide du chemin de Seftimi ? Vous me retirez méchamment le pain de la bouche. Allah vous punira ; il dirigera vos pas de manière à vous faire engloutir par le chott. »

Je regardais les deux guides avec curiosité ; il se pouvait que la concurrence les eût fait ennemis, mais ce Bédouin avait l’air d’une bête fauve. Ses yeux brillaient d’une façon terrible ; je ne me serais pas volontiers confié à lui. Il s’éloigna en grommelant pour rejoindre, à quelque distance, les cavaliers qui l’attendaient, et qui en ce moment se rapprochaient un peu de nous.

« Sidi ! murmura Halef, les reconnais-tu ?

— Certainement.

— Et nous les laisserions encore passer leur chemin ? »

L’Arabe faisait mine de les coucher en joue.

« Laisse-les ! lui dis-je, ils ne nous échapperont pas.

— Quels sont ces hommes ? interrogea notre guide.

— Des assassins, répondit Halef avec un geste d’horreur.

— Ont-ils tué quelqu’un de ta famille ou de ta tribu ?

— Non.

— As-tu de ton sang à venger sur eux ?

— Non.

— Laisse-les passer. Il ne convient pas de se mêler des affaires d’autrui. »

Notre homme parlait en vrai Bédouin. Il ne daigna pas jeter un coup d’œil sur les étrangers ; quant à eux, ils nous avaient certainement reconnus, ils se hâtèrent de prendre leur route à travers le choit, affectant de nous tourner le dos avec mépris.

Nous revînmes à la hutte de Sadek, pour nous reposer jusqu’à midi et faire quelques provisions. Le voyage allait être long et dangereux.

J’avais franchi, dans des contrées inexplorées, des torrents effrayants. J’avais parcouru d’immenses étendues en glissant sur une glace toujours prête à se rompre ; jamais pourtant je ne m’étais senti aussi vivement impressionné qu’en cet instant, au moment de m’engager à travers ce marais perfide et mystérieux. Ce n’était pas précisément de la peur ni de l’angoisse, mais ce quelque chose que doit éprouver l’acrobate quand il doute tout à coup de la solidité de sa corde. Nous partîmes cependant.