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UNE AVENTURE EN TUNISIE

nous nous mîmes à courir comme des insensés. À courir en ce lieu !… J’étais aveuglé par la colère, lui par la peur. Tout à coup il jeta un cri rauque, un cri terrible ; je reculai d’instinct ; il disparaissait dans le lac ; j’étais à trente pas derrière lui. Alors j’entendis un appel déchirant.

« Sidi, au secours ! au secours ! »

Je me retournai ; à la place même où quelques minutes auparavant j’avais cru trouver le sol ferme, Halef luttait, presque enfoncé, se retenant avec la force du suprême désespoir à un bloc de sel heureusement consistant.

Je courus à lui, et, me couchant tout de mon long, je lui tendis mon fusil.

« Prends la courroie ! lui criai-je.

— Je l’ai, Sidi, ô Allah illâ Allah !

— Tâche de mettre les jambes en l’air, je vais te tirer ferme. »

Le pauvre Halef employa tout ce qui lui restait de forces pour se dégager, et je finis par l’amener sur le bord de mon glaçon. À peine le malheureux eut-il repris haleine, qu’il se jeta à genoux, et récita les soixante-quatre versets de la prière d’action de grâces :

« Que tout ce qui vit sur la terre loue le Seigneur. À lui est la richesse, à lui convient la gloire ; de toutes choses il est le maître ! »

Lui, le musulman, il remerciait Dieu, et moi, chrétien, je ne m’étais pas agenouillé avant lui !

Derrière nous, l’abîme salé brillant, uni, tranquille comme si rien ne s’était passé, affreux dans sa placidité ! Devant nous les scélérats, cause de tous nos maux, s’enfuyant impunis ; autour de nous, la mort. Un frisson nerveux agitait tous mes membres ; pendant quelques minutes je ne pus maîtriser mon tremblement ; j’étais comme anéanti.

« Sidi, ils t’ont blessé ? s’écria mon fidèle Halef quand sa prière fut terminée.

— Non ; mais toi, mon pauvre garçon, comment as-tu pu en échapper ?

— J’ai sauté de cheval en même temps que toi, Effendi… et puis je ne sais plus rien. Je revenais seulement à moi quand je t’ai appelé. Mais qu’importe ! nous sommes des hommes morts !