Page:Mechnikoff - La civilisation et les grands fleuves historiques.djvu/30

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du genre humain, y revêtent des formes absurdes — Curtius s’élançant dans le gouffre avec son cheval et ses armes, — ou révoltantes — Manlius décapitant son fils qui, sans autorisation préalable, vient de renverser un ennemi en combat singulier.

L’admiration de la postérité, cette tardive couronne des martyrs de l’histoire, n’est jamais en raison directe de la vraie grandeur de l’œuvre accomplie. Ce qui frappe, ce qui éblouit, survit seul dans la mémoire des hommes. Les noms de ceux qui inventèrent l’usage du feu, la domestication des animaux, la culture des plantes utiles resteront à jamais inconnus ; les panthéons historiques ne sont guère peuplés que d’énergumènes, de charlatans et de bourreaux.

Les fautes, les erreurs ont souvent mieux servi l’histoire que le savoir et la grandeur d’âme : Christophe Colomb, dont la légende a fait une personnification de la science en lutte avec l’aveuglement et la superstition du siècle, doit sa gloire au coup funeste qu’il a porté à la prospérité de sa patrie : la découverte de l’Amérique n’est point le fruit de son génie, mais d’un entêtement basé sur son ignorance de la vraie forme de la terre[1]

  1. Avec les géographes arabes de son temps, Colomb croyait à un méridien initial du globe, celui d’Azin, la « ville sainte » d’Oudjeïn, où se trouvait un observatoire fameux ; mais il se figurait ce méridien, passant à la fois par le mont Mérou, c’est-à-dire le plus haut pic de l’Himalaya, et par Lanka, ou la « Resplendissante », c’est-à-dire Ceylan, comme beaucoup plus éloigné des Canaries qu’il ne l’est en réalité, et prolongeait