Page:Mechnikoff - La civilisation et les grands fleuves historiques.djvu/382

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
354
LA CIVILISATION ET LE GRANDS FLEUVES.

prodigue les labeurs de l’homme, lui imposent, sous peine d’extermination, une solidarité à outrance, une discipline rigoureuse et permanente, s’étendant aux moindres détails de la vie. J’y note cependant une différence importante : le Nil avait été dompté par des œuvres grandioses s’accomplissant à l’aide de corvées ; en Chine, des conditions strictement analogues ne se retrouvent que dans la région du Kiang-nañ et sur le bas Hoang-ho ; de semblables travaux eussent été manifestement inutiles dans ces « terres jaunes » décrites par Potanine : la nature du sol y suggère, au contraire, le morcellement en tiañ ou parcelles circonscrites, entrecoupées de canaux et de rigoles, système préconisé par Meng-tse et qui semble, de temps immémorial[1], avoir été la base même de la constitution sociale et politique de la Chine. L’exploitation de chaque lot par un petit groupe d’agriculteurs ou par une réunion de ces groupes devait favoriser le développement de ce sentiment d’autonomie familiale et rurale si caractéristique des campagnes de la Chine[2], et de ce sentiment de solidarité qu’éveillaient la conformation, la nature du sol. De là cette prédominance, ou, pour mieux dire, cette hypertrophie du principe patriarcal qui marque le début de la période classique ou

  1. Le témoignage des livres est confirmé à cet égard par l’analyse des signes idéographiques : souvent mieux que le langage lui-même, ces signes ont conservé le moule des anciennes conceptions.
  2. Cf. Simon, la Cité chinoise.